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Harry Allen (1882-1922). Etat de Washington, Nord-Ouest des Etats-Unis.

Harry grandit à Seattle, fils unique de Robert Pickerell et Jenny Gordon. Il déménage à Tunnel City – qualifiée par Le St Paul Globes de « plus mauvaise ville sur terre » – suite à une grossesse non désirée a 16 ans. Là-bas, il est employé comme barmaid et participe à des tournois de boxe ; on dit de lui qu’il a « l’ambition d’agir comme un homme ».

Durant toute sa vie, Harry va se déplacer régulièrement d’un Etat à un autre, alternant les boulots : serveur, barbier, garçon d’écurie ; commettant des délits mineurs : vols de chevaux, vente d’alcool… qui lui vaudront plusieurs aller-retours en prison.

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En 1912 il est arrêté en compagnie de son amante Isabelle Maxwell, travailleuse du sexe. Harry est accusé de traite de blanche et proxénétisme selon l’application du Man Act – une loi en vigueur aux Etats Unis à partir de 1910 et qui criminalise le fait de transporter des femmes d’un Etat à un autre dans un « quelconque but immoral ». Pour sa défense Harry révèle son genre assigné à la naissance et la police, dans une impasse sémantique, finira tout de même par l’incarcérer pour non-conformité de genre. Pendant son séjour, une aile pour les détenues femmes ayant ouvert dans la prison, on lui propose des sorties journalières dans la cour s’il accepte de porter une jupe. La presse locale publiera régulièrement des billets pour parier sur la décision d’Allen face au chantage du commissaire. Il ne cédera pas et restera en isolement ferme toute la durée de son enfermement – 90 jours.

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Également qualifié par la presse de coureur de jupon et d’homme à femme, nombre de journalistes extrapolerons sur le suicide de ses épouses post-mariage. On postule également une romance pédé avec le gangster Edward Black Jack Morse, tué par balle pendant un braquage et sur lequel on aurait retrouvé une photo de lui et Harry.

Plusieurs fois, sa mère Jenny, réfutera les ragots de la presse et s’appliquera à le genrer correctement. Son père en revanche, suite à une dispute, poignardera son fils dans le torse et le dos. Harry, gravement blessé, sera hospitalisé plusieurs jours. Il plongera finalement dans l’alcool et l’opium et décèdera de la syphilis à 40ans.

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« la mémoire est évidemment le reflet de notre identité Â»

– Sarah Schulman,

J’aime penser que la rencontre avec Harry ne s’est pas faite du jour au lendemain, au détour d’un site web, par un hasardeux clique on line, fruit d’un algorithme et d’une curiosité. J’aime croire que la rencontre s’écrivait déjà dans ma chair adolescente et puis plus tard entre les pages d’un livre de théorie queer féministe sous le phare incliné de ma lampe de chevet. Est-ce que ça a démarré cet été-là en Aveyron ? Nous avions garé le camion sur les plateau du Causse noir, le soir tombait et avec lui cette pellicule de fraîcheur qui renarde dans les paquets d’ombres. M voulait me partager un nouvel extrait d’Afrotrans, le recueil collectif de Cases Rebelles. Les mots était ceux de Mickaëla Danjé. On est tombé en amour et en chagrin pour ce texte qui racontait le méticuleux travail colonial pour éradiquer des vécus que l’on qualifieraient aujourd’hui de trans, de non-binaire, de genderfucké ou de queer. Mickaëla Danjé nous rappelle que la transidentité à des origines historiques multiples et ancestrales. Qu’elle n’est pas seulement ce concept blanc bourgeois occidental de l’ère techno-moderne. Le XXème siècle n’a rien inventé. Puis il y a eu Les Genres fluides de Clovis Maillet et la découverte de tous ces chevaliers et moines ftm ou mtf ayant vécu leurs identités de genre selon leurs propres règles durant le Moyen-Âge. Et enfin, des heures de navigation sur internet. Merci à toutes ces personnes qui effectuent un travail d’archivage et d’archéologie historique et le rende accessible ! Car nos vécus queers sont souvent orphelins. Bien que connaitre notre histoire soit nécessaire et vitale. Historiciser les transidentités au regard des enjeux de chaque époque compte. Ces récits m’ont permis de relativiser ma propre monstruosité. De répondre d’une filiation. Une filiation complexe qui laisse trop souvent ses enfants queers sans modèles et sans exemples – oblige les souffrances et les doutes à se répéter ; les conflits et les querelles à se reproduire.

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Puis, bien sûr, il y a eu la rencontre avec Luciel, son travail photographique, son regard sur l’intime, cette bienveillance qui se dépose sur les corps qu’elle capture, et cette lumière mélancolique qui pigmente les photos. Au début, c’était juste comme ça pour voir. Et on a vu. Une moue, un plis, un segment de matière qui vibre. Et on a continué. En se demandant : qu’est-ce que ça signifie d’incarner un individu mort le siècle dernier dans l’Ouest Américain ? Forcément il y a eu les clichés mêlés aux fantasmes ; et l’obsession pour le stetson auréolé de sueur.

Travailler à partir d’Harry – créer son iconographie – nous a forcé à nous poser plusieurs questions comme celle de l’objet : quels univers, symboles, mensonges, sentiments provoque l’objet ? Dans quelle mesure l’objet, le vêtement mais aussi la posture produisent l’individu et son genre ? Celle également du fossé temporel : comment l’identité de genre d’Harry s’exprimerait-elle aujourd’hui avec les biotechnologies modernes et les dernière décennies de théories queer ? dans le glissement des problématiques et dans le glissement du langage.

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Mais surtout, il y a eu ce geste de réappropriation, renouvelé à chaque séance, le rituel de travestissement – à moins que ce ne soit un rituel d’authentification. Incarner Harry c’était d’abord lui rendre hommage, prolonger sa mémoire. Inévitablement, incarner Harry est venu interroger ma propre position dans le genre. C’est dire que – malgré qu’il ne soit plus – le dialogue est encore possible. Et c’est ce que nous effectuons avec ce travail photographique ; conscient.es de notre dette envers le passé – car nous avons bel et bien un devoir de mémoire.

Longue vie à nos récits queers. Longue vie à Harry.

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Fanzine (2022)

un feuillet recto-verso avec quelques anecdotes biographiques autour de Harry Allen

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